« Les intellectuels et le pouvoir » entretien de Michel Foucault avec avec Gilles Deleuze ; 4 mars 1972
Une discussion très très riche et dense entre les deux cités dans le titre. C'est passionant. Je ne sais pas bien quoi en faire encore, mais c'est passionant.
Extraits:
C'est pour cette raison que la notion de réforme est si bête et hypocrite. Ou bien la réforme est élaborée par des gens qui se prétendent représentatifs et qui font profession de parler pour les autres, au nom des autres, et c'est un aménagement du pouvoir, une distribution de pouvoir qui se double d'une répression accrue. Ou bien c'est une réforme réclamée, exigée par ceux qu'elle concerne, et elle cesse d'être une réforme, c'est une action révolutionnaire qui, du fond de son caractère partiel, est déterminée à mettre en question la totalité du pouvoir et de sa hiérarchie. C'est évident dans les prisons : la plus minuscule, la plus modeste revendication des prisonniers suffit à dégonfler la pseudo-réforme Pleven. Si les petits enfants arrivaient à faire entendre leurs protestations dans une maternelle, ou même simplement leurs questions, ça suffirait à faire une explosion dans l'ensemble du système de l'enseignement. En vérité, ce système où nous vivons ne peut rien supporter : d'où sa fragilité radicale en chaque point, en même temps que sa force de répression globale. À mon avis, vous avez été le premier à nous apprendre quelque chose de fondamental, à la fois dans vos livres et dans un domaine pratique : l'indignité de parler pour les autres. Je veux dire : on se moquait de la représentation, on disait que c'était fini, mais on ne tirait pas la conséquence de cette conversion « théorique », à savoir que la théorie exigeait que les gens concernés parlent enfin pratiquement pour leur compte"
"Or ce que les intellectuels ont découvert depuis la poussée récente, c'est que les masses n'ont pas besoin d'eux pour savoir ; elles savent parfaitement, clairement, beaucoup mieux qu'eux ; et elles le disent fort bien. Mais il existe un système de pouvoir qui barre, interdit, invalide ce discours et ce savoir. Pouvoir qui n'est pas seulement dans les instances supérieures de la censure, mais qui s'enfonce très profondément, très subtilement dans tout le réseau de la société. Eux-mêmes, intellectuels, font partie de ce système de pouvoir, l'idée qu'ils sont les agents de la « conscience » et du discours fait elle-même partie de ce système. Le rôle de l'intellectuel n'est plus de se placer « un peu en avant ou un peu à côté » pour dire la vérité muette de tous ; c'est plutôt de lutter contre les formes de pouvoir là où il en est à la fois l'objet et l'instrument : dans l'ordre du « savoir », de la « vérité », de la « conscience », du « discours »."
Sat 06 Jul 2013 08:05:22 PM GMT - permalink -
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