Dictées

http://taniere-de-kyban.fr/2017/histoires-dictees-hebdomadaires

Un outil

(https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/16004)

Mars 1995

Nous retrouvons ces mêmes enfants en situation d'apprentissage quotidien de l'orthographe selon une méthodolo­gie ouverte et ajus­table mise au point par Jean Le Gal, militant de l'ICEM-Pédagogie Freinet, professeur à l' I.U.F.M de Laval. Sa recherche a fait l'objet d'une thèse de 3ème Cycle en Sciences de l'Education, montrant que des enfants de classe de perfectionne­ment peuvent être eux aussi, avec leur maître, des enfants cher­cheurs à la quête d'outils techniques plus efficaces.

Une classe qui écrit, qui parle, qui diffuse. Qui bourdonne. Et l'éternel problème de la maîtrise orthogra­phique. Un problème que la diversité rend plus aigu dans ces écrits tous azimuths. Comment progresser en or­thographe quand on est pris par d'autres intérêts, d'autres appren­tissages. Quand on est d'âge et de niveaux diffé­rents… Je sais bien qu'en forgeant on devient forgeron. C'est pour ça qu'on a tant de fers au feu, en classe. Mais les enclumes sont si dissemblables, les marteaux si hésitants, si étourdis, parfois… Qui n'a jamais pesté contre les “fautes” qui revien­nent, celles dont on sait que l'enfant sait, ou qu'il devrait sa­voir, et qu'il est sans ex­cuse d'oublier encore le “s” du plu­riel ou l'accord du verbe être, le “e” du féminin ou les terminaisons de l'imparfait… A quoi ça sert qu'on se décarcasse, nom de Bled ! Bien-sûr, il y a les fichiers, ceux de P.E.M.F, ceux que j'ai em­pruntés aux copains, ceux que j'ai fabri­qués… Mais ce ne sont que des bé­quilles, quelquefois des étais. Sou­vent des placebos. Et les erreurs re­viennent, narquoises, collantes, se moquant des fi­chiers comme de mes désespoirs. Ou de mes fureurs. Malgré leçons, dictées, conjugaison, correc­tion individuelle, correction collec­tive. Autant de traces dans le sable que je croyais sillons. Et que le vent d'Autan efface à tous les coups. Ou presque. C'est compliqué, l'orthographe, en­nuyeux, bouffeur de temps. Il me fal­lait donc un outil simple, rapide, motivant. Et beaucoup plus effi­cace… Je suis tombé un jour sur le travail de Jean Le Gal, qui m'a paru bigre­ment novateur. Et je m'en suis large­ment inspiré, avec quelques adapta­tions pour intégrer cet outil dans ma classe. Quelques idées simples ont guidé la démarche : 1. Le code orthographique est géné­ral, mais l'orthographe est in­time. Et chaque enfant fait ses propres “fautes”. S'il fait la même qu'un autre enfant, il n'est pas sûr que ce soit pour les mêmes raisons. Donc un outil personnalisé. 2. Le code orthographique n'est qu'une convention, pas toujours lo­gique ni explicable. Donc pas ou peu d'explications. Il faut un outil d'imprégnation. 3. L'imprégnation c'est comme l'homéopathie : petites doses, sou­vent répétées. Donc courtes séquences fré­quentes. 4. L'orthographe, à mon sens, passe par les yeux, par les oreilles et par la main. On la fait trop passer par la cervelle. Je crois à l'orthographe corporelle. Donc un outil simple. 5. Et enfin, ce qui est ennuyeux a tendance à être évacué. La brièveté élimine l'ennui. Donc un outil ra­pide. A partir de ces quelques idées simples, voilà comment se passe l'orthographe dans ma classe, sur les bases données par Jean Le Gal. J'ai toujours dans ma poche un bloc de papier auto-collant (style post-it 7 sur 7). Chaque fois qu'un enfant fait une faute d'orthographe dans un écrit quelconque (je dis bien tous les écrits, texte libre, lettre, ex­posé, recherche, compte-rendu, télé­matique etc…), j'écris le mot ou l'expression juste sur un post-it, avec le nom de l'enfant dans un coin. Quelques secondes d'explications suf­fisent si c'est une faute d'accord, rien si c'est un mot d'usage. L'enfant corrige son erreur, puis va coller le post-it dans un coin ré­servé sur le mur de la classe. C'est très rapide et le mot est “mis en ré­serve”. Très souvent, il s'agit de bouts de phrases (nous sommes allés, c'est toi qui ar­rives, vous avez joué…). A la fin de la semaine, chacun récupère ses post-it dans la collection pour ajouter les mots sur sa feuille d'apprentissage. La feuille d'apprentissage : Chaque mot ou expression est inscrit sur une ligne, avec un nu­méro. Consigne stricte : il ne doit pas y avoir de faute sur cette feuille. Pour ceux qui ont du mal, c'est moi qui écris. Je contrôle rapidement toutes les feuilles. Il faut cinq mi­nutes, chaque enfant ayant entre trois et dix lignes à transcrire. L'apprentissage : Fréquence : tous les deux jours, deux fois par jour. Durée : quatre minutes, chrono en main (il y a un responsable du temps en classe). Consignes : 1. on lit le mot les yeux ouverts. 2. on lit le mot les yeux fermés. 3. on écrit le mot les yeux ouverts. 4. on écrit le mot les yeux fermés. Au début, ça les fait rire d'écrire les yeux fermés, mais ça passe vite ! Liberté : on apprend le nombre de mots qu'on veut. On démarre et on arrête ensemble, au signal du contrôleur. Il n'y a aucun commentaire, sauf rappel des quatre consignes. Le respon­sable orthographe distribue les feuilles d'apprentissage au début et les ra­masse à la fin. Au bout de trois ap­prentissages (il tient le compte sur une feuille qui reste dans la cor­beille-orthographe) il annonce : TEST. Chacun prend alors la feuille du voi­sin et ils se dictent mutuel­lement. Chacun arrête son dicteur quand il le désire. Je contrôle rapidement. Mots erronés barrés. On ne corrige pas. L'enfant ins­crit une croix dans la colonne 1 de sa feuille d'apprentissage, en face de chaque mot juste. Contrôle du maître et pointage des en­fants sont très ra­pides. Quand l'enfant a trois croix en face d'un mot (trois tests réus­sis), il raie ce mot au surligneur. Ce mot sort du champ d'apprentissage. Les progrès sont visibles sur la feuille. Périodiquement, tous les deux mois environ, les mots rayés sont soumis à un test-mémoire. S'il y a erreur à nouveau, il est rajouté à la liste. La numérotation a plusieurs utilités : - chaque enfant, sur le bilan hebdo­madaire vu par les parents, indique le nombre d'expressions acquises. C'est toujours un nombre plus grand que la fois d'avant… - Chaque enfant calcule son effica­cité (nombre de mots acquis par rap­port au nombre de mots à apprendre). Selon les cas, ce calcul peut servir à moduler l'apprentissage : dans ma classe, après dis­cussion, les 20, 30% ont une minute d'apprentissage de plus qu'ils peuvent ou non utiliser. Les 80% ont le droit de ne plus ap­prendre. Jusqu'à ce que les mots s'ajoutant, le pourcentage baisse… - La numérotation sert à visualiser les progrès, matérialisés par un trait qui ne peut que s'allonger sur le tableau d'ensemble, en face de chaque nom, au fur et à mesure des réus­sites. Constatations après plusieurs années d'utilisation Cet outil ne tient compte que des réussites. Un échec, c'est seu­lement une future réussite. J'ai vu des en­fants s'acharner sur une erreur te­nace, en faire une affaire person­nelle jusqu'à la maîtri­ser et la rayer d'un trait victorieux. Nous faisons entre quarante minutes et une heure d'orthographe par se­maine sans aucune lassitude, sans presque s'en apercevoir (avec deux tests en moyenne par semaine). Les “mauvais” en orthographe côtoient les meilleurs, les dépassant parfois dans le nombre de réussites. Chaque enfant a ses fautes-leitmotiv, un profil d'erreur, ce qui permet de l'aider à ajuster son travail indivi­duel par ailleurs (plan de travail). Le fait d'utiliser des bouts de phrase contenant l'erreur évite une orthographe pointilliste, trop sèche. Je crois que la main, comme l'oeil, a une mémoire. je ne saurais l'expliquer, mais l'imprégnation est réelle : une lacune dans les accords du pluriel, par exemple, se retrouve sous de multiples formes et l'enfant, peu à peu, extrapole sur des formes jusqu'alors inconnues de lui. Les ac­cords s'ajustent au long de l'apprentissage empiriquement, pour­rait-on dire. Le réinvestissement n'est pas immé­diat, mais il est très réel si on a la chance d'avoir les enfants long­temps. La feuille d'apprentissage permet un constat toujours positif des progrès réalisés. Chez moi, elle suit les en­fants l'année sui­vante. On retrouve sur chaque feuille, à plus ou moins longue échéance, tout ce qui doit être “traité” en ortho­graphe, vocabulaire, conju­gaison. Sans trimer sur des leçons ou des exercices aussi stériles qu'ennuyeux. Et quelle satisfaction de rayer une erreur surmontée : on grandit à chaque fois… Cet outil, qui à priori paraît contraignant, nous laisse en réa­lité, aux enfants et à moi, une liberté nouvelle. En ne s'embarrassant pas des cailloux sur la route de l'écrit. On met les cailloux en tas sur le bord du chemin, on les concasse petit à petit, sans nous perturber les es­sieux… A remarquer toutefois que cet outil est avide d'écrit, de produc­tion, d'expression. Il s'en nourrit. Je crois que ça ne marcherait pas dans les endroits où l'on écrit sur com­mande. Pour faire la chasse aux fautes, il faut qu'il y ait des grands espaces d'écriture. On ne chasse pas dans les réserves… === M. Barrios 31260 Salies du Salat ===