Source: http://recherche-action.fr/intermedes/2016/08/04/lecons-de-pedagogie-tzigane/
Ivan Akimov (des Kesaj Tchave) faisait remarquer qu’il croyait bien repérer une certaine unité, une certaine cohérence dans la manière dont tous les tziganes d’Europe élèvent leurs enfants. Il ajoutait que pour sa part il considérait une telle pédagogie comme particulièrement efficace, car elle permet usuellement d’amener ces enfants à devenir des adultes débrouillards, adaptables à toutes situations, et souvent capables de « rebondir » lors des pires conditions.
Pour notre part, en Pédagogie Sociale, nous constatons combien nos propres principes d’intervention conviennent parfaitement à ces groupes et cette population.
S’interroger sur une pédagogie tzigane c’est opérer un renversement total; nous parlons là de groupes discriminés et stigmatisés au contraire de manière très fréquente sur le plan de la protection, de l’enfance , ou qui sont vus comme un ensemble de « mauvais parents » incapables d’assumer justement leurs responsabilités éducatives.
Ce renversement de la stigmatisation vers l’analyse, voire la valorisation, c’est justement ce qui permet, à nous, acteurs sociaux engagé auprès de ces familles, de rendre compte d’aptitudes remarquables de la part de la plupart de ces enfants et de ce qui leur permet d’adhérer si facilement à nos actions.
S’il faut mettre en évidence quelques points essentiels, des principes élémentaires de cette Pédagogie tzigane, il faut que ceux ci soient peu nombreux pour s’adapter à l’incroyable variété des situations de vie, des options personnelles ou familiales, comme des particularités nationales qui traversent ce groupe.
Qu’allons nous retrouver, en effet, de commun chez les Gitanos espagnols et les tziganes slovaques ou roumains?
Premier élément: l’enfant à sa naissance est accueilli par toute une communauté. Cet accueil communautaire est essentiel. Il matérialise à la fois une attente, une attention et de réelles capacités de coéducation du milieu d’accueil. Par ailleurs chez les tziganes, comme les Rroms, les parents sont jeunes et parfois très jeunes. Ils ont à la fois une distance d’âge faible avec leurs enfants et leurs propres parents. Par ailleurs étant jeunes, quand les choses peuvent fonctionner correctement, ils bénéficient d’un soutien efficace de la famille, à commencer des grands parents. Même s’il est caractérisé aussi par cette dimension, cet accueil communautaire va d’ailleurs plus loin que la simple famille élargie. Il y a toujours des alliés , des autres, des tiers avec qui on peut vivre au quotidien.
Cet accueil communautaire doit être considéré du point de vue de la sécurité affective qu’il réalise; les jeunes enfants rroms sont le plus souvent au coeur d’une prise en charge collective et de soins permanents. Ils ne sont pas exclus de la vie quotidienne dans toutes ses dimensions. Au contraire ils participent à tous le événements et moments de vie du groupe. Ils sont également constamment au contact d’enfants de tous âges.
Second élément: l’enfant est reconnu comme auteur de sa vie. Cela pourrait paraître juste « phraseux », déclaratif si ce n’était pas justement sur ce point que buttent si souvent les professionnels de l’éducation quand ils ont affaire aux enfants tziganes. Des enfants souvent volontaires, pleins d’initiative, qui viennent par eux mêmes, rarement opposants… mais qui peuvent tout aussi bien renoncer par eux mêmes de revenir du jour au lendemain. C’est ce qui contrevient le plus avec notre vision et notre culture professionnelle de « protection de l’enfance ». Cette prééminence de la volonté de l’enfant dans des domaines où il n’est pas censé être compétent peut bien entendu être discuté. Mais pour autant, quelle avancée , quel changement vis à vis de notre société qui peine tant à garantir de véritables droits effectifs, aux enfants qui ne s’épuisent pas dans les droits des adultes à « les protéger »!
Troisième élément: une identité populaire et collective précoce. Les enfants tziganes grandissent vite. Ce n’est pas pour eux les adolescences interminables ou les destins de « Tanguy’. En général, sauf à vivre au milieu d’une famille isolée, ils acquièrent assez vite une véritable identité collective, commune et partagée avec des autres. L’accès à cette culture n’est assujetti à aucune compétence exigible particulièrement. C’est un droit assez universel.
De même les enfants tziganes comme les jeunes adultes se reconnaissent et s’identifient en lien avec un milieu populaire, dont ils adoptent les valeurs: l’importance primordiale de l’autonomie, l’attirance pour le mariage jeune, l’émulation au sein du groupe pour acquérir des biens essentiels ou de prestige.
Le fait qu’ils ne s’engluent pas dans une période de vie intermédiaire, interminable au statut complexe, comme l’adolescence , leur permet d’assumer plus jeunes de véritables choix et concourt paradoxalement à les rendre peu angoissés. Ce qui nous frappe toujours chez ces jeunes, c’est cette capacité à limiter le tracas et le souci, à l’immédiat; à refuser de redoubler la violence sociale du présent, par la crainte de l’avenir.
Dans notre association, nous estimons que nous avons beaucoup appris de cette pédagogie tzigane . Nous trouvons beaucoup de sens à nous instruire de ceux qui, de tout temps, ont été déclarés ignorants, et à suivre des enseignements de ceux qui ont été si longtemps esclavagisés.
Les éléments que nous en distinguons, que nous en retirons viennent nourrir cette pédagogie sociale que nous développons pour tous.