Bleu pale ?

lossy-page1-442px-Earth_as_a_"Pale_Blue_Dot"_photographed_by_Voyager_1_-_19900606.tifRegardez attentivement cette image. Dans le rayon de soleil, à droite, il y a un point. Un dixième de pixel, une tâche bleu pâle. C’est nous. La Terre, photographiée d’aussi loin qu’il est possible de le faire, peu de temps avant que la sonde Voyager ne s’aventure aux confins du système solaire. Carl Sagan travaillait à la NASA, à ce moment-là. Il a  insisté pour qu’on utilise une fraction du peu d’énergie qui restait dans ce brave petit tas de métal pour nous regarder et nous prendre en photo, une dernière fois. La seule fois, depuis aussi loin, et sans n’y aura-t-il pas d’autre occasion avant bien longtemps. Peut-être même jamais, puisque l’autodestruction est toujours dangereusement possible.

Ce point bleu pâle me fascine, depuis que je l’ai découvert. Certains voyageurs spatiaux ont décrit, à leur retour, une sensation presque mystique qui doit être proche de ce que je ressens en la regardant. Elle laisse une impression de fragilité extrême. Après tout, malgré nos connaissances actuelles, malgré les planètes extérieures au système solaire découvertes récemment, malgré des dizaines d’années d’écoute attentive de l’espace pour voir si d’autres formes de vie existent, on n’a rien trouvé. Nous sommes seuls dans notre univers, et ça rend la vie, notamment humaine, infiniment précieuse.
Je ne m’explique pas bien cette fascination, pour être franc. La vision tangible de notre insignifiance et de notre importance, peut-être. La regarder laisse au moins une certitude: nous avons, individuellement et collectivement, une responsabilité devant nos choix. Nous sommes peu de choses, perdus sur un bout de caillou. Depuis l’apparition de l’homme, on estime à 100 milliards le nombre d’Homo Sapiens qui ont vécu sur cette tête d’épingle couleur océan pacifique, et nous sommes sans doute en train de provoquer une extinction biologique  massive. La sixième, depuis plusieurs milliards d’années. La première provoquée par l’avidité et la bêtise. Et il est plus que probable que ceux qui l’ont provoqué (les ultra-riches, les nantis, les dictateurs et ceux qui profitent du capitalisme, en particulier) seront ceux qui paieront le moins de conséquences du bouleversement en cours. Reste à lutter pour remettre de l’intelligence, de la justice et de la décence dans la marche du monde, même si on n’en verra peut-être rien de notre vivant. Au boulot, les amis, il y a des pénibles et des imbéciles à calmer et de belles choses à construire…

Nul homme n’est seul, isolé, coupé du continent humain. Qu’une simple motte de terre, tout une falaise, un terrain à toi ou à un ami soit emporté par la mer et c’est l’Europe entière qui en est amoindrie. La mort d’un seul homme nous diminue tous, nous, les composants du genre humain. Ne demande donc jamais pour qui sonne le glas : il sonne pour toi.

John Donne, Devotions upon Emergent Occasions, 1624


 

Crédits photo: Nasa, 1990, modifié.

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