Une histoire de fou

Une petite histoire, racontée par Miguel Benasayag, à propos d’un fou, de vache folle et de gens sains d’esprit, tirées de cette superbe interview de ce psychiatre et, comme il se définit joliment lui-même « militant chercheur ».

Il m’est arrivé quelque chose de très drôle : un patient arrive chez moi, il est fou – on dit « psychotique » ou non, peu importe, en tout cas, il est fou, il est très très fou. Il me sort de sa poche une lettre écrite par son médecin à mon intention : « Cher collègue, je suis le médecin du SAMU et j’ai vu le jeune X qui a fait une crise d’angoisse et un malaise, il s’est évanoui, il allait très mal. » Comment ça ? Il était à table, ce jeune X, avec ses parents et son frère ; tout d’un coup, il regarde la télé où on parle de la vache folle. Jusque-là, il n’en avait pas entendu parler ; il en entend parler et se met à poser des questions. « Mais comment la vache folle ? » Il était à table et tout à coup, lui, il comprend qu’on est peut-être en train de nous empoisonner, il réalise et il fait une crise d’angoisse terrible ; il tombe dans les pommes, il a des gestes qui font peur à tout le monde parce qu’il est fou et assez costaud. Tous les autres, normaux, écoutaient le désastre dans lequel on vit et continuaient à manger. Le problème, c’est celui-là : les gens savent bien que le capitalisme est un désastre, mais comme ils ne sont pas assez fous, comme ils sont trop sains, ils ne peuvent pas réagir.

Quelqu’un a écrit un jour quelque chose d’assez proche « Etre adapté à une société malade n’est pas un signe de bonne santé mentale ». Finalement, la question essentielle devient: quelle dose de folie chacun d’entre nous est-il prêt à assumer pour éviter d’aller au désastre ?

Crédits photos: collection personnelle, muséum d’histoire naturelle de Paris, février 2010

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